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Asile: Renvois express vers le Maghreb

Les personnes provenant d’Algérie, Maroc, Libye ou Tunisie devraient voir leur procédure d’asile accélérée dès ce mois.

Les «procédures 24 heures» ont été présentées par le conseiller fédéral Beat Jans et entrent en vigueur ce mois pour le centre de Boudry (NE). © Keystone
Les «procédures 24 heures» ont été présentées par le conseiller fédéral Beat Jans et entrent en vigueur ce mois pour le centre de Boudry (NE). © Keystone

Julie Jeannet

Publié le 12.04.2024

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Mesure phare présentée par le conseiller fédéral socialiste Beat Jans pour réduire le nombre de requérants d’asile, les «procédures vingt-quatre heures» devraient entrer en vigueur dans le centre d’asile de Boudry (NE) dans le courant du mois. Déjà testées à Zurich, elles ont pour but de décourager les ressortissants algériens, marocains, tunisiens et libyens de venir en Suisse, car leur chance d’obtenir une protection est jugée très faible.

D’après le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), 6153 personnes en provenance de ces quatre pays ont été enregistrées dans un centre fédéral d’asile l’an dernier, soit 22% des arrivées en Suisse. Or, sur la même période, seules 14 personnes en provenance de ces Etats ont obtenu une protection. Ces mesures doivent ainsi accélérer la procédure d’asile et libérer de la place dans les centres. Elles ont été brandies par le chef du Département de justice et police comme la solution à la hausse des demandes d’asile. Le SEM prévoit environ 30 000 demandes pour 2024, dont une majorité sur la seconde partie de l’année.

Lutter contre la délinquance

Dans la commune de Boudry, qui héberge le seul centre de procédure de Suisse romande, les tensions se cristallisent. Harcèlements, dépréciations, vols et intimidations mènent les riverains à bout. Les autorités communales et cantonales ont appelé Berne à l’aide (notre article du 21 mars). En ciblant ces quatre nationalités, Berne espère également apporter une réponse sécuritaire à des phénomènes de délinquance. D’après le SEM, 64% des incidents sécuritaires sont le fait de ressortissants maghrébins. Même si une grande majorité d’entre eux ne commet pas de crimes.

6153

Le nombre d’Algériens, Libyens, Marocains et Tunisiens enregistrés dans un centre fédéral d’asile l’an dernier

Un projet pilote a été mené dans la région de Zurich entre le 10 novembre et le 29 février dernier. Les procédures accélérées ont été appliquées aux personnes en provenance du Maghreb se présentant dans le centre le week-end. Elles ne concernent pas les familles, les personnes jugées extrêmement vulnérables et les mineurs non accompagnés. Les autorités avancent que le nombre de demandes d’asile de cette provenance a baissé de moitié, alors qu’il n’a que légèrement reculé dans les autres centres sur la même période.

Une discrimination d’Etat

Ces nouvelles mesures inquiètent les organisations de défense des migrants, qui dénoncent une discrimination et voient une inquiétante restriction du droit d’asile. «Traiter les personnes différemment en raison de leur origine ou du comportement négatif de certains de leurs compatriotes est contraire au principe de non-discrimination», déplore Denise Graf, juriste pour le collectif Droit de rester. «Il ne faut pas sous-estimer l’impact psychologique de la stigmatisation des requérants d’asile maghrébins par l’Etat sur la population, sur les instances décisionnelles et les représentants juridiques.»

«Traiter les personnes différemment en raison de leur origine est contraire au principe de non-discrimination»
Denise Graf

Pour elle, le fait qu’une seule minorité de Maghrébins soient reconnus comme réfugiés ne doit pas faire oublier les graves violations des droits humains dans cette région. «Il est tout à fait possible que des personnes persécutées et particulièrement vulnérables se trouvent parmi les ressortissants de ces quatre Etats.»

Un slogan politique

Selon Raphaël Rey, chargé d’information au service réfugiés du Centre social protestant à Genève, le terme de «procédure vingt-quatre heures» est un slogan politique. «Il est impossible de réaliser une procédure d’asile en un temps si court. Il est impossible d’établir les faits ni l’état de santé d’une personne.» Pour Raphaël Rey, il s’agit surtout d’une manœuvre politique pour dire que l’on s’occupe de la délinquance. Il s’inquiète que, dans ces conditions, les droits de certaines personnes ne soient pas respectés. L’Organisation d’aides aux réfugiés (OSAR) s’est également dite inquiète par ces procédures.

Le SEM assure cependant que la procédure en vingt-quatre heures ne change fondamentalement rien à l’examen d’une demande d’asile et que le droit d’être entendu et la possibilité de faire recours demeurent pleinement garantis. «Toutes les possibilités d’investiguer peuvent être mises à profit s’il reste des questions à régler ou des points à éclaircir. S’il apparaît, dans un cas d’espèce, que les clarifications qui s’imposent ne peuvent pas être effectuées dans le cadre de la procédure en vingt-quatre heures, la procédure d’asile se poursuit dans sa version ordinaire», écrit-il dans un communiqué. Les autorités affirment qu’à Zurich, seules sept décisions prises lors de telles procédures ont fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif fédéral et que celui-ci a validé toutes les décisions du SEM.

«Il est impossible de réaliser une procédure d’asile en un temps si court»
Raphaël Rey

Des sources proches du terrain ont également confié au Courrier qu’il serait impossible de mener des procédures de manière si rapide. «La plupart des personnes en provenance du Maghreb sont passées par d’autres Etats Dublin vers lesquels elles doivent être renvoyées. Les pays responsables ont un délai de deux mois pour répondre à la demande. Un délai s’applique également quand ces personnes sont renvoyées vers leur pays d’origine.» Elles affirment également que le fait que le nombre de demandes d’asile en provenance du Maghreb ait baissé à Zurich ne signifie pas que moins de Maghrébins se trouvent en Suisse. «Se sont-ils dirigés vers d’autres centres? S’ils sont toujours là, cela ne réduira pas la problématique de la criminalité», constatent nos sources.

>Le Courrier

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