La Liberté

Chapitre 10 - La rébellion des pauvres

Bercés par les paroles d’un voyageur, on raconte que les hommes ont un jour repris ce à quoi on les avait arrachés, poussés par la seule force de leur volonté.

L’aube d’un nouveau jour se levait sur Libripolis. © artstation.com
L’aube d’un nouveau jour se levait sur Libripolis. © artstation.com

Kimy Dieu

Publié le 03.10.2023

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Article en ligne – Nouvelle «Ils avançaient. Ils avançaient inlassablement, fièrement, éternellement. Le regard tourné vers un horizon qu’ils semblaient être les seuls à percevoir, un horizon dont ils voulaient bâtir les contours. Sous leurs pieds, le sable dansait au rythme de leur perpétuel cadence, s’envolant parfois dans les bras d’un souffle fugace et terminant sa valse dans les sillons formés par les empreintes de la masse d’hommes et de femmes. Ils ne parlaient pas, pourtant, leurs armes criaient leur peine et leur ardeur, prêtes à faire résonner dans l’immensité du désert et de ses quatre murs une fureur trop longtemps enfouie. Les dés avaient été jetés et seule leur vie serait ce qu’ils laisseraient sur les terres de Delta, abreuvant ces dernières de leur sang aux reflets teintés d’une volonté que rien ne saurait défaire.

 

Les remparts de la ville trônaient désormais là, devant eux, les défiant de leur gigantisme. Qu’espéraient-ils accomplir en franchissant ces murailles, eux, les parias qui avaient refusé la main qu’on leur avait tendue ? Un exploit où les noms des héros subsisteraient dans les mémoires de certains, une victoire sur celui qui leur avait fait boire la misère, ou préféraient-ils laisser dans le cœur de cette ville les traces d’un peuple qui avait voulu le reconquérir ? Aux portes de la cité, ils n’attendaient qu’un signe, celui d’un petit dieu porteur de toutes leurs ambitions, de tous leurs espoirs. « Libripolis, ma chère Libripolis, il est temps de se réveiller. »

 

Le coup de feu avait retenti, fouettant l’air d’un claquement tonitruant. Comme une marée, les nomades s’étaient engouffrés dans le cœur de la ville, investissant rues et quartiers, boulevards et avenues. Ils grondaient de leur colère, vomissaient leur rage sur ceux qu’ils pensaient responsables de leurs maux, ces hommes qui les avaient chassés, affamés, maudits, ces hommes qui agitaient la bannière noire d’un dieu venu d’ailleurs. Ils étaient des nomades, eux des soldats. Leurs coups de bâton vilainement taillé, leurs épées au tranchant émoussé, leurs insultes si peu recherchées, quel pauvre spectacle laissaient-ils voir ! Et pourtant, et pourtant ! La flamme qui animait l’esprit de ces hommes ne faiblissait pas. Ils tombaient, un à un, sous les coups d’une armée dont ils ignoraient la force, mais peu leur importait de tomber au front, tant que les captifs de cette ville, ceux qui s’étaient tus, prendraient part à ce jeu d’acteur au milieu de ce fantastique chaos, se joignant toujours plus au vacarme des nomades.

 

Dans le tintement du fer qui se croisait, la voix d’un homme s’élevait parmi une foule en mouvement perpétuel. Un calme singulier accompagnait les ordres qu’il donnait, sous les oreilles attentives des nomades qui buvaient ses paroles. Corvus et Léo avaient été témoins du discours qu’avait prononcé Orion au Havre des Nomades. Un musicien qui jouait avec le rythme, choisissait avec soin les mots dont il roulait les syllabes, un vagabond qui semblait se rire du monde, jetant ses meilleures cartes sous les yeux ébahis de ceux qui s’étaient moqués de lui. A leur grand étonnement, celui-ci était parvenu à pincer les cordes des âmes des nomades, de ceux dont la vie ne tenait qu’à un fil à ceux dont la vigueur ne demandait qu’à être exploitée, jouant une mélodie qui tambourinerait dans leur esprit : se battre, peu importe le prix. Aelna avait peut-être bien des atouts dans sa manche.

 

La lutte avait duré des minutes, des heures, des jours. Qui aurait mesuré le temps ? Aux yeux de certains, l’éternité était une seconde dont ils attendaient la fin, à d’autres, elle ne suffisait pas à raconter tous les chapitres d’une vie. Quoiqu’il en fût, le résultat demeurerait à jamais le même.

 

A feu et à sang. Le spectacle était terminé, les rideaux enfin tombés, et derrière eux, le décor d’un théâtre que l’on avait démonté. Sur les pavés de pierre, les Landes se mêlaient à Delta à travers des corps aux visages éteints, aux membres fatigués d’avoir trop porté. Chacun avait lutté pour ses ambitions, pour sa justice. Rien de plus. Dans leur dernier acte, ils avaient fermé les yeux au milieu des gravats et des cris, laissant à leurs confrères leur flambeau que l’on avait éteint d’un simple souffle. Qui était à blâmer ? Qui devait-on désigner du doigt ? Qui ? Qui ? Nul ne le savait vraiment. Vainqueurs ou perdants de cette révolte, ils ne demeuraient que des hommes désormais libérés du regard divin, au prix de leur propre sacrifice. Un sacrifice que l’on nommerait plus tard la Rébellion des Pauvres, le moment où la volonté des hommes avait défié celle des dieux. Son écho avait vibré à travers les terres de Delta, par-delà ses dunes incandescentes, il s’était répercuté sur les tours en verre de Gloria, lui annonçant son prochain chapitre, et finalement, il était tombé dans les oreilles de Rosefield, lui rappelant que son cœur avait toujours continué à battre au-delà de ses frontières…»

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