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La Conspiration de Vaduz (2/3) - La Traversée

L’article en ligne – Nouvelle » Nous retrouvons nos héros G. et F, profitant de la célébration fribourgeoise de la Fête-Dieu pour prendre la fuite.

F. et G. atteignent le canton de Berne, et le château de Thoune, où ils passeront la nuit. © Amédée Hirt
F. et G. atteignent le canton de Berne, et le château de Thoune, où ils passeront la nuit. © Amédée Hirt

Amédée Hirt

Publié le 26.02.2023

Temps de lecture estimé : 7 minutes

     - Vite, G. ! Enfile ta soutane, c’est le moment !

Les rues du centre-ville fourmillaient de gens pressés à l’idée d’enfin voir quelque chose de festif, après quatre mois passés sous l’occupation de la Principauté. F., tenant son frère par la main, slalomait entre les badauds qui remontaient les rues pavées. Le cortège avait démarré au son du canon et les hallebardes des gardes suisses dépassaient au loin. Les deux frères atteignirent l’endroit où la procession ralentirait pour faire demi-tour. La fanfare était déjà passée, et le groupe de thuriféraires dans lequel ils voulaient s’incruster s’approchait, accompagnée de nuées d’encens. Cependant, une rangée de militaires armés, aux couleurs du Prince Hans-Hermann, les séparait encore du cortège.

     - Ça va être notre moment, prépare-toi, G., je vais créer une diversion.

F. lâcha discrètement quelque chose de sa poche et continua à avancer. G. suivit son frère avec confiance, quand un cri s’éleva dans son dos. Il jeta un regard en arrière et aperçut une fumée odorante s’élever de l’endroit qu’ils venaient de quitter. Les soldats rompirent le rang pour s’approcher de l’agitation. Le timing était parfait. Une ouverture se présenta aux deux frères au moment où le groupe de thuriféraires s’arrêtait pour rebrousser chemin. F. se tourna vers son frère qui avait réussi à se faufiler à ses côtés.

    - Yess !! Maintenant, plus qu’à rester calmes et à agiter l’encensoir jusqu’à la fin de la procession.
     - Je sais pas si tu es un génie ou un fou. En tout cas, ça a marché.
     - Bon, reste concentré, on n’est pas encore en sécurité.

Une fois la fumigène éteinte, la procession reprit son cours, descendant vers la flèche de la cathédrale. Arrivés devant le fronton de l’édifice, F. et G. suivirent le mouvement, faisant profil bas en attendant le signal de leur complice. Ce dernier ne se fit pas attendre. Un gros « boum » fit vibrer les vitraux de la cathédrale et résonna contre la molasse des bâtiments. Il n’y était pas allé de main morte. Profitant de la panique générée par l’explosion, F. tira son frère dans une venelle adjacente et le duo détala au pas de course vers les escaliers menant en Basse-Ville.

Les ruelles pavées étaient vides, pour leur plus grand bonheur. Rapidement, ils arrivèrent en vue de l’entrée de la vallée du Gottéron. Ils s’engouffrèrent sous la porte médiévale et, une fois arrivés à l’abri des arbres, les deux compères ralentirent pour reprendre leur souffle.

     – Ouff... Enlevons ces déguisements et cachons-les dans ces buissons, déclara F. en passant sa soutane par-dessus sa tête. Mais vite, nous avons encore du chemin à faire.
      - Merci, mon frère, sans toi je n’aurais jamais réussi, lui répondit G., encore tremblant d’adrénaline.
     - Bah c’est rien, tu me remercieras plus tard. On n’est pas encore arrivés à bon port, et ce que tu portes avec toi est beaucoup trop important pour qu’on rate.

F. tourna les talons et s’engagea sur la route en gravillons serpentant vers le fond de la vallée. Les falaises et la forêt étouffaient le vallon au fond duquel résonnaient les eaux de la rivière. Mais progressivement, la pente s’adoucissait et les arbres se clairsemaient. Les deux hommes commençaient à sortir des gorges du Gottéron et retrouvèrent rapidement un environnement plus champêtre.

     - Combien de temps on doit encore marcher ?, haleta G. derrière son frère.
     - On arrive bientôt, je t’ai dit, on nous attend à Alterswil. Ça doit être après ce virage.

Effectivement, une voiture était garée à la sortie du sentier, au bord de la route. Une silhouette assise sur le capot scannait les environs de son regard de faucon. C’était L’Argovien. Ou plutôt, l’Argovienne. Car l’Argovien était une femme, et ça, F. l’ignorait. Il ne savait qu’une chose de ce personnage, c’était la dernière survivante du canton d’Argovie. Le canton avait été rayé de la carte par l’explosion de la centrale nucléaire de Beznau, ciblée par les bombardements de l’aviation liechtensteinoise au début de l’invasion. Cette femme était une légende. Elle avait survécu à l’explosion en se cachant dans son frigo et portait depuis lors ce surnom.

L’Argovienne laissa entendre son accent germanophone :

     - Halt ! Quand le dragon crache du feu vers le soleil…
     - …l’aigle regarde la lune briller. C’est bien nous, à l’heure au rendez-vous, enchaîna sans ciller F.
     - Alors, c’est vous F. et G. ? Vous voulez rejoindre l’Oberland bernois comme ça ?
     - Pas le temps de discuter, il faut rouler.
     - Also, embarquez, les Welches !

La voiture démarra en trombe sous le pilotage expert de sa conductrice. Rapidement, les plaines agricoles singinoises laissèrent place aux escarpements montagneux de la vallée de la Singine. L’Argovienne, sans hésitation aucune, accéléra sur la route sinueuse pendant que ses deux passagers se cramponnaient aux poignées. Tout en négociant un tournant, elle lança la discussion :

     - Bon, dites-moi. F. & G. ce ne sont pas vos vrais noms, n’est-ce pas ?

G., le front luisant, hésita avant de répondre :

     - Pas besoin de s’appeler Sherlock pour le deviner. J’imagine que si on a pu te faire confiance jusqu’à présent, on peut bien te révéler nos noms de codes. F. pour Fribourg et G. pour Gottéron, évidemment.
     - Je me disais que vous deviez avoir un certain poids dans la résistance pour avoir réussi à me contacter. Fribourg et Gottéron, les deux frères qui ont réussi à infiltrer le Palais fédéral !! Rien que ça ! Bon, faites-vous discrets, on vient de passer Zollhaus. Une fois le Gurnigel traversé, on sera en sécurité, toute la région de Thoune est contrôlée par les forces loyales au Conseil fédéral, mais d’ici là, laissez-moi gérer. Ce soir, on dort au château de Thoune.

A suivre…

 

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