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« Si tu veux ma place, subis aussi mes discriminations »

L’article en ligne - Blog » Notre chroniqueuse expose son point de vue sur la place des personnes racisées dans les médias. 

Pour Margot du magazine Roseaux, l’expérience d’une personne racisée est éminemment différente de celle d’une personne qui a un "white passing". (photo prétexte) © Kaziwa Raim
Pour Margot du magazine Roseaux, l’expérience d’une personne racisée est éminemment différente de celle d’une personne qui a un "white passing". (photo prétexte) © Kaziwa Raim

Kaziwa Raim

Publié le 15.11.2020

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Je ne vous apprends rien si je vous dis que dernièrement, les problématiques rencontrées par plusieurs groupes minorés attirent enfin l’intérêt de la scène médiatique, et ce jusqu’en Suisse. Féminicides, lois LGBTQIA+-phobes, racisme systémique, la parole se libère et les gens se penchent davantage sur les discriminations que ces catégories sociales subissent. Si cet intérêt et cette parole libérée me soulagent profondément et me donnent de l’espoir pour une société meilleure, j’ai également constaté un phénomène auquel je ne m’attendais pas. En effet, certains individus privilégiés profitent de ce mouvement pour se faire passer pour un membre de ces catégories sociales vulnérables alors qu’ils n’ont rien à voir avec elles, détournant par conséquent l’intérêt des médias vers eux et privant ainsi les personnes qui font réellement partie de ces catégories de pouvoir s’exprimer publiquement.  

Et ça, à mes yeux, c’est franchement problématique. 


Une question de représentation
Je ne peux pas et je ne veux pas parler pour des catégories qui ne me concernent pas directement, c’est pourquoi je prendrai ici l’exemple des personnes racisées qui subissent le racisme systémique, étant moi-même une femme racisée. Si le terme « racisé·e » peut surprendre, sa pertinence est néanmoins défendue par de nombreux·euses sociologues, dont Jean-François Staszak, directeur du département de géographie de l’Université de Genève : « Le terme racisé désigne la condition d'une personne victime d’un processus de racisation. Autrement dit, elle est assignée à une supposée ‘race’ du fait de certaines caractéristiques ethnotypiques telles que la couleur de sa peau, le type de ses cheveux ou encore sa morphologie » explique l’expert.

De fait, depuis que le mouvement Black Lives Matter a pris de l’ampleur aux USA, on parle beaucoup plus des discriminations que subissent les personnes racisées dans les pays occidentaux, y compris en Suisse. Sur les plateaux de la RTS et sur les réseaux sociaux, on voit se succéder des personnes racisées et des problématiques raciales dont on n’a jamais entendu parler auparavant et je dois dire que ce phénomène me fait du bien au plus profond de moi parce que pour une fois, je me sens représentée, prise en compte, comprise – en précisant ici que je parle des problématiques raciales en général et pas seulement de BLM, n’étant moi-même ni afro descendante ni noire. 


Le « white passing », c’est quoi ?
« Alors où est le problème ? », me direz-vous ? Selon moi, il est double. 
D’une part, dès l’instant où on a commencé à parler de racisme systémique, certaines personnes ont sauté sur l’occasion pour crier au « racisme anti-Blancs » et détourner le débat des problèmes rencontrés par les personnes racisées. Dois-je rappeler ici que si la grande majorité des sociologues contestent la notion de « racisme anti-Blancs », c’est parce que cette dernière n’aurait rien de pertinent dans des sociétés où les personnes blanches sont en position de domination ? Dans un article du Temps rédigé par Lionel Pittet le 4 octobre 2019 et intitulé « Racisme anti-Blancs », l’expression du malaise, Pamela Ohene-Nyako, historienne doctorante à l’Université de Genève, explique la chose suivante : « Il n’y a pas eu de mouvement de théorisation raciale prônant l’infériorité des Blanches et des Blancs, ni de société qui se soit structurée sur leur domination ou infériorisation, ni de violences systémiques à leur encontre. » Dans ce même article, Alma Wiecken, responsable de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), révèle que « depuis 1995, la Commission fédérale contre le racisme a recensé cinq cas concernant des propos discriminants tenus à l’encontre de Blancs. » Ainsi, la faible occurrence de ces situations indiquerait que ce phénomène n’est de fait pas systémique en Suisse : « Il s’agit avant tout d’actes isolés se produisant dans le contexte d’altercations entre deux personnes. Il n’est pas possible de parler de racisme généralisé ou systématique à l’encontre des Blancs, au contraire du racisme anti-Noirs » expose Alma Wiecken. 

D’autre part, il faut impérativement faire la différence entre l’expérience d’une personne racisée et celle d’une personne issue d’un autre pays que la Suisse et qui a un « white passing » (« passe-droit de blanchité »), c’est-à-dire qui peut passer pour Blanche. Ici, la distinction est essentielle parce que là où la première subira du racisme, la seconde sera susceptible de subir de la xénophobie mais pas du racisme systémique. Dans son article Le white passing, la lutte antiraciste et moi publié en 2017 sur Roseaux par Margot, celle-ci reconnaît le privilège que lui accorde son white-passing : « La liste des discriminations racistes que je n’ai jamais subies est longue et me montre à quel point je suis avantagée par rapport aux racisés dont la couleur de peau et/ou les traits font directement référence à un imaginaire raciste néocolonialiste. » Ainsi, l’expérience d’une personne racisée est éminemment différente de celle d’une personne qui a un white passing, quelles que soient ses origines. 

Or dans le cadre de mon engagement militant antiraciste, j’ai dernièrement rencontré des personnes qui cherchaient par tous les moyens à parler « en tant que personne racisée » dans différents médias alors qu’elles avaient clairement un white passing, et je n’ai simplement pas les mots pour décrire à quel point ce comportement me révolte tant il est problématique. Il me semble évident qu’il faut laisser la place aux personnes racisées aussi bien dans l’espace publique que dans les médias ou sur les réseaux, parce qu’elles sont les seules personnes légitimes pour parler de leurs propres expériences. 

Personne n’a jamais demandé à être racisée et à subir des discriminations raciales, alors par pitié, que tu sois Blanc ou que tu jouisses d’un white passing, ne t’empresse pas de « voler la vedette » aux personnes racisées parce que si tu veux sa place, tu devrais aussi subir ses discriminations.
 

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