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Dustan: sexe, vérités et vidéos

Fri-Art présente les films de Guillaume Dustan, écrivain, artiste, magistrat et figure clé de la culture queer

Guillaume Dustan projeté sur un mur de Fri-Art avec les trois commissaires d’exposition Julien Laugier, Pascaline Morincôme et Olga Rozenblum de l’espace indépendant Treize, à Paris. Charly Rappo
Guillaume Dustan projeté sur un mur de Fri-Art avec les trois commissaires d’exposition Julien Laugier, Pascaline Morincôme et Olga Rozenblum de l’espace indépendant Treize, à Paris. Charly Rappo

Olivier Wyser

Publié le 18.03.2021

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Ecrivain transgressif, éditeur aventureux (lire encadré), artiste provocateur habitué des plateaux de télévision, militant gay controversé mais également énarque et magistrat (il a été juge administratif)… Guillaume Dustan est en quelque sorte une énigme. Le Français, décédé en 2005 à l’âge de 39 ans, est indéniablement une figure clé de la culture queer et de la littérature hexagonale au tournant du millénaire. Il a notamment reçu le Prix de Flore en 1999 pour son roman Nicolas Pages. «J’ai des lunettes; la pêche, la forme; le sida, une hépatite C (le cancer?). Moi aussi, je voudrais bien en organiser, des soirées. J’ai moins de trente-cinq ans (encore pour quelques mois). Je suis éditeur et écrivain. Je gagne dix-huit mille francs (par mois). Je suis pour la transparence (ce n’est pas que j’aime me faire détester mais c’est the only way pour tout changer)», se décrit Guillaume Dustan dans son livre Génie divin, publié en 2001.

«Je suis pour la transparence (ce n’est pas que j’aime me faire détester mais c’est the only way pour tout changer)»
Guillaume Dustan

Mais si le centre d’art contemporain fribourgeois Fri-Art – en collaboration avec l’espace indépendant Treize, à Paris – s’intéresse aujourd’hui à ce personnage singulier, c’est sous un angle inédit. En effet, Guillaume Dustan – né William Baranès – a réalisé dix-sept films entre 2000 et 2004 à l’aide d’une petite caméra numérique. Une œuvre méconnue présentée ici pour la première fois en intégralité. «Ces films amènent à reconsidérer l’écrivain et la figure médiatique. Au travers de ces courts et moyens-métrages nous pouvons appréhender l’homme sous un jour nouveau. Ces films permettent de revisiter le parcours d’un artiste qui explose les catégories. Dustan est un personnage très touchant qui exhale une énergie positive», résume Nicolas Brulhart, directeur artistique de Fri-Art Kunsthalle.

Dix-sept films réalisés par Guillaume Dustan sont montrés pour la première fois dans leur intégralité.
Charly Rappo

Plus de neuf heures de films

Ce sont pas moins de neuf heures et trente minutes de films qui peuvent être visionnées dans la grande salle du centre d’art contemporain au fil de l’exposition The Films of Guillaume Dustan. «Mes films sont tournés selon le dogme warholien en DV avec une très jolie caméra Sony qui fait une image très étrange, sans générique, en son direct, sans montage. C’est filmé-monté», explique l’écrivain dans son tout dernier livre Premier essai, dans lequel il commente sa filmographie alors encore largement inédite.

Structuré pour prendre le visiteur par la main, le parcours débute par un extrait d’In Bed With Guillaume Dustan, reportage réalisé en 2000 par Pink TV et France 2. Ces quelques minutes d’introduction présentent l’artiste et permettent de se familiariser avec sa démarche. Le visiteur peut ensuite se plonger intégralement dans l’intimité de l’auteur. Une station offre la possibilité de naviguer à travers l’ensemble des films de Dustan sur des moniteurs, un peu comme dans une médiathèque. Sur un grand écran, des œuvres clés sont projetées en boucle tandis que dans un coin plus tranquille, un canapé et un casque stéréo permettent de s’immerger pleinement dans le film d’entretien Nietzsche où Guillaume Dustan expose face à la caméra sa pensée politique, ses positions sur la société, l’homosexualité… Un monologue d’une heure, sans coupure, dans lequel l’artiste revient sur son conflit avec l’association Act Up-Paris à propos du port du préservatif ou sur son rapport à la politique locale, dans laquelle il s’est parfois engagé.

Mêler l’art et la vie

«C’est vraiment la première présentation institutionnelle des films de Guillaume Dustan. Nous avons travaillé durant trois ans sur ce projet. Le centre Pompidou, à Paris, a commencé la restauration des films, puis Fri-Art a permis, entre autres, de les sous-titrer et de les présenter», explique Olga Rozenblum, commissaire d’exposition, cofondatrice de l’espace indépendant Treize, à Paris. Pour mener à bien ce projet de longue haleine, elle a travaillé avec Pascaline Morincôme et Julien Laugier. «Cette exposition permet de ressaisir des objets qui incarnent la construction d’un réseau de pensée queer en Europe autour de la notion de politisation des sexualités et de la construction alternative des regards dans les années 2000», ajoute la curatrice. Grâce à ces films mais aussi aux nombreux textes de l’écrivain dans lesquels il précise ses intentions, le visiteur découvre de nouvelles facettes de la personnalité de Guillaume Dustan, artiste qui a en son temps mêlé l’art et la vie d’une manière nouvelle.

«Cette exposition permet de ressaisir des objets qui incarnent la construction d’un réseau de pensée queer en Europe.»
Olga Rozenblum

Jusqu’au mois de mai, Fribourg

Fri-Art Kunsthalle.


Pour la première fois, l’ensemble de la collection Le Rayon


Initialement nommée Le rayon gay, la collection Le rayon, aux Editions Balland, est la première collection littéraire française LGBT (des écrits lesbiens, gays, bisexuels et transgenres), créée par Guillaume Dustan. Commencée en 1999, la collection s’arrêtera en 2003 après la publication d’une cinquantaine d’essais, de romans, de récits et de recueils, dont trois titres de Guillaume Dustan lui-même, notamment son roman Nicolas Pages, qui lui a valu le Prix de Flore 1999. «C’est la première fois que toute la collection est réunie au même endroit. Il s’agit de la première collection française consacrée aux écrits homosexuels sous toutes leurs formes», décrit Olga Rozenblum, commissaire d’exposition. Toutes ces œuvres peuvent être consultées à Fri-Art dans le cadre de l’exposition The Films of Guillaume Dustan (2000-2004). Une grande table sur laquelle sont disposés tous les ouvrages a été installée et le visiteur peut se laisser aller au plaisir du feuilletage. On y trouve par exemple Peau: sexe, classe sociale et littérature de l’écrivaine américaine Dorothy Allison ou Guide de l’hétérosexualité d’Erik Rémès. OW

Essais, romans et poésie.
Charly Rappo

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